
Comme un tour du monde en français
Le Journal de Montréal
Alors qu’ici au Québec, on se plaint du recul du français dans la sphère sociale et dans les communications, le professeur de linguistique Bernard Cerquiglini, qui signe la préface de cet ouvrage instructif et amusant, dit tout le contraire.
« Le français n’a jamais été autant parlé, autant écrit que de nos jours ; il emprunte, il invente, il est vivant. C’est notre langue ; nous sommes responsables de sa vitalité, de son rayonnement, de son avenir. Mais pour cela, il faut en connaître l’histoire, en pénétrer les arcanes, en comprendre le destin », écrit Cerquiglini. Et c’est ce que s’amuse à faire l’auteure Magali Favre qui avoue néanmoins, dans son introduction, qu’il faut encore et toujours se battre pour donner au français une place prédominante dans le grand concert des langues.
Avant le gaulois, avant les langues pré-indo-européennes, il y eut le basque, encore parlé aujourd’hui dans une région des Pyrénées, et qui est très certainement le « dernier vestige d’une langue parlée il y a plus de 7000 ans ». Puis 2000 ans avant J.-C., les Celtes envahissent l’Europe, à l’ouest et à l’est. Les Gaulois, nous dit Favre, étaient un des peuples celtes. Mais ces Gaulois, nos ancêtres, préféraient l’oralité à l’écriture, de sorte qu’il ne reste plus qu’environ 150 mots gaulois dans la langue française. Des mots qui sentent la campagne, comme bouleau, sapin et chêne, ou corbeau et pinson, ou encore bouc et cheval. Et certaines légendes, malgré leur caractère oratoire, ont traversé l’histoire pour se rendre jusqu’à nous, comme celle du roi Arthur et ses chevaliers de la Table ronde, de Lancelot du lac ou de Tristan et Yseult.
Le latin et le grec
Par contre, trois mots français sur quatre proviennent du latin, une langue qui n’est pas si morte donc. Avec la conquête de la Gaule par les Romains, le latin pénétrera toutes les couches de la société. Même phénomène avec la conquête de la Grèce, alors que nombre de mots grecs seront introduits dans la langue parlée de l’époque. Des scientifiques travaillent même à la confection d’un dictionnaire du latin moderne. Ainsi, aéronaute se traduit par aerius viator (voyageur de l’air), et casino par aleatorium (alea « jeu de hasard ») », deux mots qui ne pouvaient exister à l’époque de l’Empire romain.
L’auteure nous présente plusieurs centaines de mots pour illustrer comment la langue évolue au gré des conquêtes. Ainsi le fruit abricot. « Apparu en France au XVIe siècle, il a fait le tour de cette mer Méditerranée au cours des siècles. Il était connu des Romains pour sa précocité, d’où son nom en latin praecoquum, qui signifie “fruit précoce”. Les Grecs furent les premiers à emprunter le mot, qui passa ensuite dans la langue arabe sous la forme al barqûq. La conquête arabe l’introduisit en Espagne où il fut adopté par le catalan, qui en fit albercoc. Enfin, le mot arriva en France pour devenir abricot. »
Ou encore le mot serrer. « Ce mot vient du latin populaire serrare, “fermer avec une barre”, de serra, “barre”. D’où l’origine de la serrure. Par la suite, ce verbe a pris le sens de “presser de manière à ne rien laisser échapper”. Au Québec et dans plusieurs régions de France, on utilise ce mot comme synonyme de ranger : “Va serrer ton linge dans ton tiroir !” dira la mère à l’enfant. Cet espace de rangement étant étroit, il faut en effet presser le linge pour le faire entrer dans le tiroir. »
Une langue qui parle au monde
Cet ouvrage est une véritable boîte à surprises. Ainsi, même si le castor est l’emblème du Canada, sachez que cet animal vient de Grèce ! « On utilisait une sécrétion de l’animal pour soigner des maladies de l’utérus. » C’était aussi le nom d’un héros grec dont on fit le protecteur des femmes. « En français, c’est au Moyen Âge que le nom de bièvre, d’origine gauloise, a été remplacé par “castor”. Les Anglais ont gardé beaver. »