Vers la la domination des cégeps anglos?
TVA Nouvelles
M. François Legault, Premier ministre
M. Simon Jolin-Barrette, Ministre responsable de la Langue française
Mme Danielle McCann, Ministre de l’Enseignement supérieur
Nous, professeur.e.s de cégep provenant de partout au Québec, vous interpellons afin que vous reconsidériez la pertinence d’étendre les clauses scolaires de la Charte de la Langue française au niveau collégial. Nous tenons pour acquis que l’avenir du français vous préoccupe au plus haut point, et c’est pourquoi nous ne ressentons pas le besoin de vous rappeler les statistiques alarmantes en la matière. En revanche, nous jugeons pertinent de mettre en exergue un élément fondamental qui n’a été que peu entendu dans le débat public : le régime actuel crée un réseau à deux vitesses qui vide les cégeps francophones de leurs meilleurs élèves et qui dévalorise les diplômes émis par ces établissements. Tel que conçu actuellement, le projet de loi 96 viendra amplifier cette réalité. Si Montréal en subira inévitablement les contrecoups les plus importants, c’est le réseau collégial francophone dans son intégralité qui sortira affaibli de la réforme que vous proposez.
D’entrée de jeu, il importe de souligner que le débat sur le « libre choix » est faussé, car dans les faits, seuls les élèves ayant une forte moyenne générale au secondaire ont réellement la liberté de fréquenter un cégep dans la langue de leur choix. En proposant de plafonner le nombre de places disponibles, le projet de loi 96, loin de freiner ce système à deux vitesses, ne fera qu'accentuer l'élitisation des cégeps anglophones puisque ces derniers devront resserrer encore davantage leurs critères de sélection. Paradoxalement, cette situation fait en sorte que plusieurs élèves ayant l’anglais comme langue maternelle se retrouvent exclus des établissements anglophones en raison de leurs moins bons résultats au secondaire.
Cette ségrégation scolaire a une incidence évidente sur la motivation et la persévérance scolaire. Chez bon nombre d’élèves admis dans un cégep francophone après avoir essuyé un refus dans un cégep anglophone s’installe la perception erronée voulant que leur formation soit d’une valeur moindre. Cette réalité est désormais bien ancrée dans la métropole, où la disproportion entre la fréquentation des collèges anglophones et le poids démographique des Québécois.e.s ayant l’anglais comme langue maternelle atteint un niveau très préoccupant. Ainsi, dans le secteur préuniversitaire à Montréal, les cégeps anglophones diplôment 52% des effectifs totaux alors que la proportion d’anglophones qui résident sur l’île de Montréal n’est que de 17%.
Les détracteurs de l’extension de la loi 101 affirment souvent qu’il est important d’apprendre l’anglais, particulièrement en cette ère de mondialisation. C’est incontestable. Rappelons toutefois que l’apprentissage de l’anglais n’est en rien tributaire de la fréquentation d’un cégep anglophone, et que les élèves admis dans ces établissements ont déjà une excellente connaissance de la langue de Shakespeare. Loin d’empêcher les jeunes francophones de perfectionner leur connaissance de l’anglais, une telle mesure éviterait que la fréquentation des cégeps anglophones soit réservée à l’élite.
Plusieurs membres du gouvernement, à commencer par M. Simon Jolin-Barrette, ont assurément déjà fait valoir ces arguments. Dans l’intérêt supérieur du système d’éducation québécois et de la nation que vous représentez, il serait sage de les écouter.