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Une ONG qui lutte contre les féminicides devant la justice turque
Radio-Canada
ISTANBUL, Turquie – « On a fait une reconstitution de la scène du crime, mais pas à l’endroit où il a eu lieu. » Dans son salon, le père d’Aysun Yildirim se lève soudainement. Il sent le besoin de nous montrer dans quelle position le corps de sa fille a été retrouvé au pied d’un immeuble à Istanbul. « Le mannequin qu’ils ont utilisé n’est pas tombé de la même façon que ma fille. »
Aysun Yildirim, 28 ans, est morte le 28 février 2018. La police amorce une enquête mais conclut rapidement à un suicide et clôt le dossier. Cependant, ses parents n’y croient pas. Leur fille a parlé à sa sœur le soir même; elle était joyeuse et avait promis de rentrer à la maison quelques heures plus tard. Et surtout, Aysun avait une liaison avec un homme marié avec lequel elle tentait de rompre. Ils ont fait des recherches à plusieurs reprises, mais sans tenir compte des preuves accumulées, déplore la mère d’Aysun. Ils ont fermé notre dossier.
Parce qu’ils veulent obtenir justice pour leur fille, les parents d’Aysun se tournent vers la plateforme We Will Stop Femicide, c'est-à-dire Nous mettrons fin aux féminicides. Cette organisation non gouvernementale milite entre autres pour que les cas de meurtres de femmes soient pris plus au sérieux par la police et par les magistrats et qu’ils ne restent pas impunis.
Leyla Süren, avocate de l’ONG, a pris le dossier d’Aysun en main. Notre plateforme a été fondée pour aider les femmes à survivre et pour sensibiliser la société au sujet des féminicides. Nous sommes là pour rassembler des données sur ces crimes et pour accompagner les familles pendant les procès.
Cependant, l’ONG prend parfois la défense des familles en rouvrant des affaires classées. En effet, le cas d’Aysun est loin d’être isolé. En 2022 seulement, Nous mettrons fin aux féminicides a dénombré 254 morts suspectes de femmes et 330 féminicides avérés. C’est donc plus d’une femme par jour qui meurt sous les coups d’un homme, la plupart du temps un proche.
Il y a beaucoup de fébrilité dans les couloirs du palais de justice d’Istanbul ce jour-là. Des représentantes et des alliées de l’ONG Nous mettrons fin aux féminicides sont sur place. Mais cette fois-ci, ce n’est pas une cause de féminicide qui est devant la cour : c'est l’ONG elle-même. Elle est poursuivie par le gouvernement Erdogan pour atteintes aux valeurs familiales et à la morale.
Dans la salle d’audience, c’est un peu le chaos. De nombreuses avocates, dont Leyla Süren, sont là pour plaider en faveur de l’ONG et pour convaincre le juge qu’elles ne cherchent qu’à défendre les droits des femmes. C’est une cause qui fait grand bruit en Turquie : des journalistes locaux et des représentants de divers consulats sont eux aussi dans la salle.
Toutefois, la réélection de Recep Tayyip Erdogan à la tête de la Turquie ne laisse rien présager de bon pour cette ONG.
La place des femmes sur le marché du travail ne devrait pas mettre à l’arrière-plan leur rôle de maman. La femme qui travaille nie son rôle de mère. Le président Erdogan répète dans ses discours que les femmes sont avant tout des mères et qu'elles ne peuvent pas être les égales des hommes. Il s’oppose aussi à la planification familiale, sans parler de l’avortement.