Un patriarche va-t-en-guerre qui divise l’église orthodoxe
Radio-Canada
Sur les photos qu’on trouve de lui, le patriarche de Moscou ressemble un peu à l’idée qu’on se fait de Saint-Nicolas. Un sourire avenant, une longue barbe blanche. Il porte des robes brodées de fils d’or et des chapeaux pointus ornés d’images saintes. Mais ici s’arrête la comparaison, car Cyrille de Moscou, la plus haute autorité religieuse de Russie depuis 2009, n’a rien d’un personnage bon enfant.
En fait, sa sainteté , née Vladimir Mikhaïlovitch Goundiaïev à Leningrad, en 1946, est un va-t-en guerre enthousiaste, supporter indéfectible de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La victoire sera à nous, l’icône protégera l’armée russe et accélérera notre victoire, a-t-il déclaré lors d’un sermon à la fin février, bénissant ainsi une opération militaire visant à combattre les forces du mal.
Dans son homélie du 6 mars dernier, il en ajoutait une couche, qualifiant la bataille, de guerre sainte.
Combattre les forces du mal ? Une guerre sainte ? Depuis des années, le patriarche Kyrill propage le l’idée d’un Rousskii Mir, soit un univers orthodoxe et nationaliste tourné vers des valeurs traditionnelles, explique Lucian Turcescu, éminent professeur de théologie à l’Université Concordia depuis 2005 et spécialiste des liens entre politique et religion en Europe de l’Est.
Le patriarcat de Moscou oppose, à cette idée d’un Russie pure, la menace d’un Occident perverti, décadent, sans morale, précise le chercheur, installé au Canada depuis 1982. Cyrille en a particulièrement contre l’homosexualité et l’avortement.
Pour le patriarche, la guerre en Ukraine incombe aux Occidentaux qui veulent imposer ce genre de péchés au bon peuple russe, le souiller, raconte encore celui que nous avons joint par visioconférence à Bucarest, en Roumanie, son pays natal où il séjourne actuellement. Le professeur Turcescu est frappé par la tension qui règne actuellement autour de lui. La guerre, vue d’ici, n’a rien d’une réalité abstraite, comme au Canada. Il décrit la présence visible des soldats de l’OTAN, les avions militaires qui survolent le territoire.
La région est donc manifestement sur un pied d’alerte et, de façon plus personnelle, le théologien l’est aussi. Il fait partie d’un groupe de théologiens, de prêtres et de diacres orthodoxes ayant signé une condamnation théologique de l’idéologie fascisante promue par le patriarcat de Moscou. Publiée, le dimanche 13 mars, le nombre de signataires de ce manifeste religieux qualifiant, Kyrill, d’indigne de la religion orthodoxe, ne cesse d'augmenter.
C’est un manifeste historique de dénonciation de l’usage indigne du nom de Dieu résume le professeur Turcescu qui compare le manifeste à la déclaration de Barmen, un texte théologique contre le régime nazi, rédigé et publié par les protestants d’Allemagne, en 1934.
Pour saisir le goût du patriarche Kyrill pour la guerre, il faut remonter un peu dans le temps. En 2018, un schisme intervient au sein de l'Église orthodoxe en Ukraine. Une partie du clergé décide de faire reconnaître par le patriarcat de Constantinople (Istanbul), l'autorité théologique suprême dans le monde orthodoxe, une église ukrainienne orthodoxe indépendante du Patriarcat de Moscou explique le professeur Turcescu.