
The Beatles, Let It Be et la magie de Giles Martin
Radio-Canada
À tour de rôle, les admirateurs des Beatles que sont, Michel Rivard, Gilles Valiquette et Pierre Marchand me l'avaient bien dit : Giles Martin est la personne la plus gentille au monde, après bien sûr son père, le regretté George Martin, que plusieurs considéraient comme le cinquième Beatle.
Au bout de Zoom, Giles Martin est tout sourire pour nous parler de son remixage de l'album Let It Be (1970) : Je suis chanceux d'avoir reçu les clés du château. Je peux expérimenter des choses que les fans des Beatles ne peuvent que rêver de faire. Mon seul souhait est qu'on ait le sentiment d'être en studio avec les Beatles.
Let It Be est l'album le plus incompris des Beatles, sans doute parce qu'il a été enregistré dans le chaos et qu'il est sorti après la séparation du groupe. Conscient d'avoir le plus beau métier au monde, celui de remixer les bandes originales des chansons des Beatles, Giles Martin tient à être à la hauteur de la responsabilité qui lui incombe : Le défi avec l'album Let It Be a été de mettre ensemble des fragments d'enregistrements. [...] Il y a eu trois producteurs sur le projet, Phil Spector, Glyn Johns et mon père, George Martin. Le défi a été de créer une certaine unité.
L'enregistrement et la sortie de Let It Be a été un véritable chemin de croix. Tout a commencé le 2 janvier 1969 lorsque les Beatles, dans un mélange de cinéma vérité et de télé-réalité, ont voulu réaliser pendant trois semaines un album sous l'œil des caméras du réalisateur Michael Lindsay-Hogg. Installés dans le froid du Twickenham Film Studio, situé près du cœur de Londres, les quatres Beatles voulaient retourner à un son plus rock et plus cru. Même s'ils étaient bien conscients d'être filmés, ils n'ont pu s'empêcher de se chamailler par moments. On peut d'ailleurs entendre Paul McCartney dire à la blague pendant ces enregistrements : Cinquante ans plus tard, ils diront que les Beatles se sont séparés parce que Yoko Ono s'est assise sur un amplificateur . Après un désaccord (aussi enregistré) sur sa façon de jouer de la guitare, George Harrison a quitté les Beatles le 10 janvier pour revenir quelques jours plus tard à condition de changer de lieu d'enregistrement. Ce qui a été fait.
Après la tempête, (du 2 au 16 janvier 1969 à Twickenham) il y a eu un retour au calme et c'est dans la joie que les Beatles se sont retrouvés du 21 au 31 janvier dans le sous-sol de leur siège social, situé au 3 Savile Row, pour d'autres séances d'enregistrements. Le mythique concert impromptu de 42 minutes du 30 janvier 1969 sur le toit de l'édifice sera le point culminant du projet. La presque totalité des chansons de Let It Be ont été enregistrées au 3 Savile Row. Insatisfaits du résultat, les Beatles ont finalement donné le mandat au producteur Phil Spector de faire un album avec les enregistrements : J'ai beaucoup de respect pour Phil Spector, mais je ne suis pas certain qu'il était le bon producteur pour les Beatles. Paul McCartney a déjà dit qu'il n'était pas le bon producteur pour le projet et qu'il n'était pas content des arrangements originaux. Nous avons donc revu la balance du son original. Je voulais que cet album sonne plus comme les Beatles que comme Phil Spector, raconte Giles Martin.
À l'origine, les séances en studio des Beatles pour Let It Be ont été immortalisées avec des enregistreuses Nagra, sur des rubans d'un quart de pouce. Près de 150 heures de matériel audio ont été volées et piratées. Si elles sont retournées à leur propriétaire en 2003, elles se sont entre-temps retrouvées sur des disques pirates et plus tard sur le web : La plupart des enregistrements pirates sonnent comme le matériel auquel j'ai eu accès pour remixer Let It Be, affirme Giles Martin. À un certain moment, il y a eu une volonté des Beatles de racheter les enregistrements pirates pour les coller au film Let It Be. C'était la seule source audio disponible. Mais la police a retrouvé les rubans. J'ai donc pu améliorer la qualité.
Cinquante ans après sa sortie originale, l'album Let It Be revit sous un jour plus étincelant avec un univers sonore réimaginé. Dès la première écoute, le résultat est spectaculaire.