Sommes-nous en train de perdre de futurs créateurs?
TVA Nouvelles
Madame la Ministre Roy,
L’écosystème musical professionnel québécois se distingue par son esprit d’initiative et son autonomie. La SOPROQ indique d’ailleurs que 80% de ses membres agissent à titre d’autoproducteur de leurs projets. Aujourd’hui, l’acte de création, la polyvalence et l’organisation du travail sur une base contractuelle plus ou moins éphémère sont inhérents à la profession musicienne, ce qui justifie l’importance que les établissements d’enseignement universitaire modernes doivent y accorder.
C’est donc en cohérence avec la réalité du travail en musique que nous formons une relève également compétente en entrepreneuriat musical. Cela signifie qu’en plus d’être hyper-qualifiés pour la performance scénique ou pour la composition d’œuvres originales, la musicienne et le musicien d’aujourd’hui s’impliquent dans la gestion, la production, la logistique, la réalisation, la création de contenu original, la diffusion, les communications, etc.
En tant que chercheur(e)s et professeur(e)s en professionnalisation de la musique, nous sommes préoccupé(e)s par le fait que certaines personnes étudiantes se demandent s’il vaut encore la peine d'entreprendre une carrière dans le domaine de la culture et des arts.
Depuis près de deux ans, les personnes étudiantes ont innové dans leurs pratiques, se sont adaptées aux contextes changeants et ont su se réinventer à maintes reprises. En dépit de cette grande résilience, elles sont à même de constater les nouveaux défis qui les attendent.
En effet, la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec rapporte qu’en février 2021, au creux de la deuxième vague de la pandémie, 69% des musiciennes professionnelles et musiciens professionnels exerçaient moins du quart de leurs activités habituelles. Parmi eux, 26% ne pouvaient même pas travailler. La réouverture prochaine des salles de diffusion apporte un vent d’espoir.
Cependant, considérant que les spectacles prévus sont généralement ceux déjà reportés de 2020-2021, il reste très peu d’espace pour programmer les concerts ou les spectacles des personnes musiciennes nouvellement diplômées. À cela s’ajoute un manque de reconnaissance du statut professionnel et de sécurité financière de l’artiste. Il en résulte que plusieurs personnes étudiantes déclarent vivre de la détresse psychologique à l’instar de ce qu’éprouvent leurs collègues professionnels. Plusieurs doutent de leur avenir, malgré le fait que leur formation universitaire les rend plus aptes que jamais à conduire la révolution numérique et à façonner le milieu musical de demain. Et si certaines ne sont pas prêtes à abandonner leur carrière en devenir, d’autres sont en réflexion.
Si rien n’est fait dès à présent pour intégrer la relève dans la reprise des activités culturelles, nous craignons l’exode des talents et une perte d’expertise en musique qui pourrait avoir des impacts à plus long terme. Il serait extrêmement regrettable et dommageable de perdre de futures créatrices et de futurs créateurs de ce milieu en transformation. Nos jeunes musiciennes et musiciens ont les idées, les outils, l’énergie et la créativité nécessaires pour que le Québec de demain rayonne par sa culture, son entrepreneuriat et son innovation.
Pour citer le poète Gaston Miron, faisons en sorte que «nous ne sommes pas revenus pour revenir, mais que nous sommes arrivés à ce qui commence». Nous espérons qu’enfin la réalité professionnelle des musiciennes et musiciens soit reconnue à sa juste mesure par le gouvernement. Il faut mettre en place des structures favorisant la contribution de la relève au développement d’une culture forte et pérenne. Nous travaillons déjà dans ce sens et nous sommes prêts à partager notre vision pour que la musique soit reconnue comme une vraie profession.