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Passeport: de l’attente interminable au chaos
Métro
LETTRE OUVERTE – Ce petit billet, pour un passeport, il a fallu jouer du coude pour l’avoir. Il n’y avait qu’une dizaine de personnes devant nous à notre arrivée, vers 5h30 du matin. Certain.e.s avaient dormi là. D’autres étaient déjà venus avant, on leur avait dit: revenez 24h avant votre voyage, pas plus tôt.
Ça s’est rempli de plus en plus rapidement. En l’absence d’employé.e.s, la file se gérait d’elle-même. Les gens étaient nerveux, mais courtois. Et puis une agente de sécurité est arrivée et a ordonné à ceux au bout de la file d’avancer, de ne pas bloquer le chemin. Elle les a pressés vers le devant de la file, et là ça s’est crié dessus; je suis là depuis hier soir moi madame; oui mais moi mon vol est à 17h aujourd’hui monsieur; reprenez votre place dans la file; il n’y a pas de file, de hurler l’agente.
Un homme qu’on devine jeune sous son masque a fini par arriver avec les petits numéros tant attendus. Comme un fermier dans un poulailler, il s’est vite retrouvé encerclé de piaillements et de becs tendus: j’étais là avant vous, oui mais pas avant moi, bousculades, invectives.
Et puis on retourne s’asseoir, serrant ce petit bout de papier jaune dans nos doigts comme si l’avenir en dépendait. L’atmosphère se détend, on jase, toi tu pars quand, tu vas où, il y a deux Maroc, plusieurs France, un Cancún, un Miami. Un Berlin, pour y célébrer ses 20 ans avec des ami.e.s, puis rejoindre sa mère en Italie, et puis le sud de la France, Bruxelles, Paris: wow, tu pars pendant quatre mois, ou quoi? Et puis New York et Disney: j’ai économisé toute ma vie pour ce voyage-là. Mes fils sont autistes, c’est la première fois qu’ils voyageront, c’est leur rêve depuis qu’ils sont tout petits. À travers ces projets, on se raconte nos vies, on se lie vite. Et on se demande: toi ta demande, tu l’as envoyée quand? Avril. Mai. Février. Décembre. Tu l’as fait sur place? Non, il n’y avait pas de rendez-vous disponible, j’ai tout envoyé par la poste. On cherche les similitudes, on fait des correspondances, on est toustes dans le même bateau.
À un certain moment une agente vient chercher les personnes qui partent le jour même; puis celles qui partent demain matin; puis celles qui partent demain après-midi (c’était nous); puis on nous fait descendre, former une ligne qui s’étire beaucoup plus après nous qu’avant. Une agente prend en note à la main, sur un calepin jaune, le nom, la date de naissance, le numéro de téléphone, et puis vérifie la preuve de paiement de voyage. N’allez pas trop loin, on va vous appeler.
Pendant ce temps, les campements de fortune érigés par ceux qui n’avaient pas encore fait leur demande attendent. L’air inquiet, leurs occupants soupirent, leur dossier qu’ils ont vérifié trente fois entre les mains. Nous, on remonte à l’étage, le cœur léger.
Et puis on attend, on attend, on attend. On nous dit de rester dans la section là où il y a des tables. Les campeurs du sous-sol passent lentement; il ne reste plus qu’une vingtaine de chaises de camping vides. Il est presque 17h, les bureaux devaient fermer à 16h. On fait semblant d’avoir quelque chose à faire de l’autre côté pour aller glaner des bribes de conversation, on revient avec des rumeurs. Près des grandes fenêtres, les gens sont excédés.