Le convoi des camionneurs peut-il encore être considéré comme une manifestation?
Radio-Canada
Le droit de manifester est un droit fondamental au Canada. Mais la présence du convoi de camionneurs à Ottawa peut-elle toujours être considérée comme une manifestation, alors qu'elle paralyse la colline du Parlement depuis une semaine? Isabelle Richer en a discuté vendredi avec Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l'Université Laval.
Isabelle Richer : La situation est très difficile pour les résidents : le bruit, l'agressivité, les rues bloquées... Est-ce que l'expression qui dit que la liberté des uns finit là où celle des autres commence s'applique ici?
Louis-Philippe Lampron : C'est toujours plus compliqué que ça. En droits et libertés de la personne, il n'y a pas de noir ni de blanc, il n'y a que du gris. Mais la liberté de manifestation, c'est un droit fondamental. C'est protégé de manière constante par la jurisprudence de la Cour suprême en vertu de la liberté d'expression.
Maintenant, vous le dites, il n'y a pas de droit fondamental qui est absolu. Alors la liberté d'expression souffre des limites. Il y a des limites internes à la liberté d'expression et il y a des limites externes, c'est-à-dire des restrictions qui pourraient se justifier en raison du contexte. Par exemple, la pandémie justifie plus de restrictions aux droits et libertés de la personne qu'en temps normal.
Une manifestation, cependant, ne peut pas prendre n'importe quelle forme pour être protégée par la liberté d'expression. Il y a une limite interne qui – et c'est évalué au cas par cas, toujours – va faire en sorte que certains choix d'activités ne seront pas jugés comme étant compatibles avec le lieu public où l'on a choisi de s'exprimer et, ce faisant, pourrait tout simplement être exclus de la protection offerte par la liberté d'expression.
IR : Le droit d'immobiliser de gros camions pendant une semaine dans des rues autour du parlement, par exemple, fait-il partie du droit de manifester?
LPL : Ça risque fort d'être considéré comme exclu dans le contexte d'une éventuelle contestation. C'est-à-dire qu'une manifestation qui restreigne temporairement la circulation – on prend la rue, on marche pendant deux heures –, ça, c'est une chose, c'est protégé par la liberté d'expression.
Mais utiliser la rue de manière contraire à sa destination, en dressant une barricade, en bloquant l'accès de manière durable à ces voies qui servent à permettre à la population de passer, ça, c'est un exemple qui est donné fréquemment par la jurisprudence et par la Cour suprême pour illustrer la limite intrinsèque dont je vous parlais tout à l'heure. Alors, ça pourrait ne pas être une forme d'expression qui est conforme à la liberté d'expression et de manifester.
IR : Et faire du bruit de manière incessante avec des klaxons?