
Le « gerrymandering » : quand les Américains choisissent leurs électeurs pour gagner
Radio-Canada
TEXAS, États-Unis - Au Canada, il y a des commissions indépendantes qui travaillent au redécoupage des cartes électorales pour mieux refléter l'évolution démographique. Mais aux États-Unis, ce sont ceux qui détiennent le pouvoir qui choisissent de réaménager de façon partisane les limites territoriales des comtés… pour gagner à coup sûr.
Il y a un peu plus d’un an, Candace Valenzuela échouait de peu à remporter un siège dans le 24e district du Texas. Battue par la candidate républicaine, cette démocrate aux origines latino-américaines et afro-américaines ne s’est d'abord pas découragée, mais lorsqu’elle a appris qu’elle ne pourrait se représenter aux élections de 2024 dans son comté, elle s’est sentie ciblée par les républicains. J’ai demandé à une des républicaines s’ils avaient fait exprès de mettre ma résidence dans un autre comté et elle m’a dit oui, c’était presque ridicule que je pose la question.
Le cynisme en politique est omniprésent au Texas, un État où les républicains règnent sans partage à presque tous les niveaux de pouvoir. « Dans ce district, explique Candace Valenzuela, ils ciblent les personnes de couleurs et les mettent dans des comtés déjà démocrates ou dans des comtés plus ruraux, donc plus conservateurs, pour diluer leur vote. »
Tous les dix ans, après chaque recensement, le parti au pouvoir dans l‘État du Texas, donc généralement le Parti républicain, peut redessiner les cartes électorales pour que chaque district compte à peu près le même nombre de résidents. Mais pour s’assurer d'avoir une super majorité lors des élections suivantes, ils tracent presque au scalpel politique les limites de ces districts afin de répartir selon leurs besoins les votes dont ils ont besoin.
C’est ce qu’on appelle le « gerrymandering ». Ce charcutage électoral ne date pas d’hier. Il faut remonter à 1811, lorsque le gouverneur du Massachusetts Elbridge Garry avait été accusé à l’époque d’avoir redessiné sa circonscription afin de garantir le succès de son parti aux élections. Et ce découpage électoral avait la forme d’une salamandre. Il suffisait de créer un mot-valise avec Garry, qui est devenu Gerry, et y on ajoute un morceau du mot salamandre en anglais (salamander). On obtient alors le gerrymandering.
C’est une façon de faire très populaire au Texas, mais aussi en Ohio, en Floride et en Georgie, qui sont des territoires administrés par des républicains. Les démocrates ne sont cependant pas en reste notamment dans l’État de New York, mais aussi en Illinois, où ils règnent en maîtres du gerrymandering.
Dans le cas de Candace Valenzuela, son district est passé d’une population de 42 % à 62 % de personnes blanches. Alors que Biden y était en avance par 5 points, les républicains devraient gagner par 12 points, selon les estimations. Le tout à cause du gerrymandering des républicains.
En 2021, une vingtaine d’États, surtout républicains, ont procédé à des redécoupages de cartes électorales. Et ce sont les républicains qui, au bout du compte, devraient en sortir renforcés lors des prochaines élections.
C’est une grosse industrie le redécoupage de la carte électorale, beaucoup plus aux États-Unis qu’au Canada, explique Antoine Yoshinaka, professeur agrégé en sciences politiques à l’Université de l’État de New York. Historiquement, c’était le parti démocrate qui était beaucoup plus conservateur sur les enjeux raciaux. Le sud des États-Unis, pendant près d’un siècle, a été dominé par le parti démocrate. Ce n’est je dirais que depuis les 30 ou 40 dernières années que ce sont les républicains, en raison de leur coalition qui est beaucoup plus majoritairement blanche et qui utilise ce processus de gerrymandering pour tenter de minimiser l’impact que peuvent avoir les minorités raciales.