
La fin de la première ligne
TVA Nouvelles
Depuis des années, nous constatons que la première ligne de soins de santé au Québec s’essouffle et s’effrite. Partout dans les médias, on nous parle du nombre de patients sans médecin de famille, des listes d’attente qui ne font que gonfler et de la difficulté d’avoir accès à des soins et une prise en charge au Québec.
On se fait dire que la faute en incombe aux médecins de famille du Québec, que ces derniers ne veulent pas prendre en charge ces patients, qu’ils ne veulent pas travailler plus qu’ils ne le font déjà.
Mais est-ce réaliste que de dire que ça n’est que la faute aux médecins de famille? Est-ce réaliste de penser que nous nous levons le matin en nous disant: «Aujourd’hui, je vais en faire le moins possible pour soigner le moins de gens possible?»
On estime actuellement, selon la méthode utilisée, qu’il manque entre 1000 et 1400 médecins de famille au Québec. Il faut aussi savoir qu’environ 25% des médecins de famille au Québec ont plus de 60 ans, donc environ 2500 médecins. Il est quand même prévisible de penser que ces médecins ne pratiqueront pas 20 ans encore.
De plus, en raison de plusieurs facteurs, le taux d’admission en médecine de famille est en forte baisse. Par exemple, cette année seulement, 91 postes sont demeurés vacants au Québec pour les résidents en médecine de famille, alors qu’un seul fut vacant pour les spécialistes. Depuis quelques années, il y a eu plus de 200 postes vacants en médecine de famille, donc plus de 200 nouveaux médecins qui ne seront jamais présents pour aider notre système.
D’ici peu, le gouvernement imposera à tous les médecins de première ligne au Québec le projet de règlement sur la loi 11. Peu d’informations précises ont circulé sur ce projet de loi qui arrive à grands pas. Selon le ministre de la Santé, ce projet de loi permettra aux 13 000 patients orphelins vulnérables (de catégorie A et B) de se trouver un médecin de famille et permettra un plus grand accès aux soins de santé de première ligne au Québec, par le biais d’obligations et de coercition, non pas de collaboration.
Qui sont ces patients de catégorie A et B? Après de longues recherches, j’ai pu trouver qu’il s’agit de patients avec cancer en soins palliatifs, les toxicomanes, les patients avec problématiques de santé mentale sévères (schizophrénie et autres), les personnes souffrant du VIH et autres. Cela EXCLUT les patients avec un diabète, une maladie cardiaque, les enfants avec troubles d’apprentissages et surtout, surtout, les patients qui ont des maladies ne faisant pas partie des codes de vulnérabilité. Nous avons entendu beaucoup de politiciens, experts et gens de bureau en parler, mais qu’en sera-t-il au quotidien pour les troupes sur le terrain?
Le premier impact est la perte d’autonomie des médecins de famille pour la prise en charge de nouveaux patients. En effet, dans ma pratique, je prenais encore des patients, mais de façon sélective. Maintenant, si je veux prendre en charge cette clientèle, souvent vulnérable, je vais devoir écrire une lettre pour faire une demande de dérogation au ministère de la Santé pourquoi cette personne bénéficierait d’une prise en charge. Je passe déjà plus de 15-20 heures par semaine à remplir diverses paperasses exigées par la bureaucratie québécoise...
Je ferai donc face à deux choix: soit prendre du temps pour faire ces lettres et donc soigner moins de gens, ou bien tout simplement cesser mes nouvelles prises en charge. Mais ça, le ministre n’en a jamais parlé... Conséquences: au lieu de diminuer la liste d’attente du GAMF, au lieu de diminuer le temps d’attente pour des gens qui en ont besoin, l’effet sera contraire: une augmentation partout.