
Inspirantes Ruba Ghazal et Marwah Rizqy
TVA Nouvelles
Dans le concert d’indignation suscité par les déclarations du PDG d’Air Canada Michael Rousseau, certaines réactions furent particulièrement touchantes.
Sans doute parce que, contrairement à la sinistrose actuelle quant à l’avenir du français au Québec, ces mêmes réactions illustrent la réussite – au moins partielle – d’un beau modèle ; la matérialisation d’une certaine idée du Québec, généreuse, « interculturelle ». Et cela permet d’espérer. Les réactions que j’évoque ont été celles de deux élues québécoises issues de l’immigration, Ruba Ghazal, députée de QS de Mercier et Marwah Rizqy, députée libérale de Saint-Laurent, jeudi.
Leurs répliques au PDG, lequel a prétendu ne pas avoir eu le temps d’apprendre le français – « Trop occupé ! » – avaient quelque chose de viscéral.
À son arrivée au Québec, a rappelé Ruba Ghazal, elle-même ne pouvait s’exprimer dans la langue de Vigneault : « [Les gens de] ma famille ne parlaient pas le français comme beaucoup, beaucoup d’immigrants. Mais ils l’ont fait, l’effort ! » Effort qu’elle décrit comme allant de soi. Quand on immigre dans un pays, on apprend sa langue, fit-elle valoir. J’ajouterais : encore faut-il que les « signaux » venant du pays soient clairs. Or, ceux qu’envoie le Dominion (pays « bilingue » offrant une fausse « liberté » de choix linguistique) les brouillent trop souvent.
Grâce aux politiques mises en place (principalement par le Parti québécois) dans les années 1970 et 1980, ces signaux furent assez clairs pour attirer et intégrer les Ghaza, Rizqy et cie. Le Québec y a beaucoup gagné ; a évolué grâce à cet apport.
Ruba Ghazal et QS insistent avec raison sur l’importance de la langue du travail. Cela me rappelle une formule géniale de Gérald Godin, député poète, illustre prédécesseur de Ghazal dans Mercier : « La Loi 101 vise fondamentalement à ce que le français devienne la “lingua del pane”, la langue du pain, la langue du travail. » (Entrevue à Vice Versa, 1985)
Marwah Rizqy, pour sa part, insistant sur son statut d’« enfant de la loi 101 », a souligné avec sa verve unique – profondément québécoise –, que sa mère, « immigrante, pas une cenne, malgré son agenda débordant, avec une enfant handicapée », avait pris le temps, elle, d’apprendre le français, « notre langue » ! Alors, « PDG multimillionnaire », « ne prenez-nous pas pour des valises », pesta-t-elle. Ajoutant que ce PDG est à la tête d’une compagnie aérienne « pas foutue de servir comme il faut les régions du Québec ».
Quand Marwah Rizqy parlait de sa mère, j’ai encore pensé à Godin, à son poème Tango de Montréal : « Sept heures et demie du matin, métro de Montréal/c’est plein d’immigrants/ça se lève de bonne heure/ce monde-là/le vieux cœur de la ville battrait-il donc encore grâce à eux ».
Amir Khadir aimait à citer Godin. Lui aussi fut député de Mercier. S’il revenait aujourd’hui, le poète serait sans doute ravi de voir que sa vision riche du Québec, même sans être un pays, a pu se matérialiser.