
Inflation en alimentation : le pire est encore à venir pour votre portefeuille
Radio-Canada
Vous avez l’impression d’en avoir de moins en moins pour votre argent à l’épicerie. Normal, le panier d’épicerie a bondi de près de 10 % en avril par rapport à la même période l’an dernier, indique Statistique Canada. Et cette pression à la hausse dans les étals se poursuivra, selon l’économiste en chef chez Desjardins, Jimmy Jean.
Le stratège a répondu aux questions de Gérald Fillion à l'émission Zone économie mercredi soir.
JIMMY JEAN – Ça commence à paraître, mais le pire est probablement encore à venir. Quand on voit les indices des prix à l'importation, il y a de fortes augmentations. Ce sont des contrats qui sont souvent négociés longtemps à l'avance en ce qui concerne les inventaires. Donc, il y a fort à parier que ça va prendre un certain temps encore avant qu'on ressente l'entièreté des effets [de la croissance de l’inflation alimentaire]. Mais il ne faut pas oublier qu'on avait des problèmes de récoltes et des pressions quand la guerre en Ukraine a commencé. On avait déjà des pressions importantes dans l'alimentation. Donc, les risques restent orientés à la hausse et ça force les consommateurs à faire des choix, peut-être à aller moins au restaurant ou à magasiner un petit peu plus.
J.J. – Les risques sont orientés à la hausse et la communauté des prévisionnistes prolonge le délai avant que l'inflation se modère. Ce que ça illustre, c’est que c’est une situation complètement inédite. On n'a jamais été dans une situation où on revient d'une pandémie, il y a encore des problèmes logistiques, des pays aux prises avec des enjeux pandémiques et il y a une guerre. C'est très difficile à prévoir ce genre d'environnement là. C'est une partie de l'inflation qui est très atypique.
Mais ce qui complique encore plus la chose, c'est qu'on a une partie de l'inflation qui est très typique, qui est liée au marché de l'emploi très serré. Il y a également les salaires qui, même s’ils ne suivent pas encore l'inflation, les intentions sont là et les pressions sont là. Les attentes commencent à augmenter de plus en plus. Il y a donc encore des risques d’une persistance de l’inflation et il va falloir que les banques centrales prennent ça peut-être même encore plus au sérieux qu'elles l'ont fait.
J.J. – C'est questionnable. Parce que même avec ces 100 points de base supplémentaires, on va être encore à 2 % de taux nominal d'intérêt. Et quand on regarde l'inflation, ça veut dire que la politique monétaire est en territoire très accommodant. Il y a certains anciens dirigeants de la Réserve fédérale aux États-Unis qui avancent que les taux devraient être autour de 5 ou 6 %. Ce serait extrême. La raison pourquoi on est prudent, c'est parce qu'on ne sait pas exactement ce qui est vraiment lié au cycle [économique] et ce qui est lié au choc d'offre. Mais il y a une nécessité d'augmenter les taux.
J.J. – Si on fait ça trop vite, ça va être trop déstabilisant. Mais il faut quand même qu'à court terme, il y ait une séquence assez musclée pour au moins revenir vers la neutralité. La politique monétaire ne doit plus être accommodante comme elle l'est en ce moment. Après ça, il va falloir prendre le pouls. Regardez le marché immobilier. On l'a vu en 2019, on s'était rendu à un taux directeur de 1,75 % et le marché immobilier avait ralenti. On va voir la même chose cette fois-ci.
J.J. – Absolument. On l'a vu dans les chiffres cette semaine, avec une baisse de plus de 12 % des ventes au pays, on a même vu l'indice de prix à l’échelle canadienne baisser. C'est très précoce dans le cycle de ralentissement. Habituellement, ça prend un certain temps avant que les prix commencent à baisser, là on voit déjà une faiblesse. C'est aussi le signe qu'il y a eu une exubérance. L’effet de la hausse des taux fait en sorte que c’est plus difficile de se qualifier pour une hypothèque et que les paiements sont plus dispendieux. Et c'est comme ça que la politique monétaire fonctionne. C’est en ralentissant les composantes sensibles aux taux d'intérêt – l’immobilier et les achats de bien durables comme les automobiles et les meubles – que tout sera appelé à ralentir dans un environnement où le marché immobilier ralentira.
J.J. – Absolument. Et c'est ce qui a changé par rapport à 2020-2021. On s'émerveillait du fait que le revenu disponible était en hausse, que l'épargne des ménages avait augmenté. Mais quand on regarde ces variables maintenant, puis qu'on intègre l'effet de l'inflation, ça s'est beaucoup normalisé. On peut dire qu’on est aux alentours des tendances qui existaient avant la pandémie, mais c'est beaucoup moins reluisant que ce l'était il y a quelques mois à peine, étant donné la vigueur de l’inflation. Oui, il y a une érosion du pouvoir d'achat, mais c'est un mal nécessaire. Si on veut ralentir l'inflation, il faut ralentir la demande. Il faut ralentir les ardeurs des consommateurs.