Forts prix du pétrole, un choc salutaire pour la transition énergétique au Canada?
Radio-Canada
Les sanctions imposées à l’économie russe à la suite de l’invasion de l’Ukraine ont entraîné une augmentation marquée du prix des hydrocarbures. Ce choc tarifaire pourrait-il provoquer les changements de comportement qu’on prône depuis longtemps?
Simon Langlois-Bertrand, chercheur associé à l'Institut de l'énergie Trottier à Polytechnique Montréal, répond à nos questions.
On fait des choix selon ce qu'on a à payer. Une augmentation draconienne des coûts de l'essence ne fera pas en sorte que tout le monde achète un véhicule électrique demain matin. Par contre, cela augmente le pourcentage de personnes qui y réfléchissent sérieusement. Parmi ceux-là, il y en a quelques-uns qui sont peut-être en fin de bail de location de voiture et cela augmente la possibilité qu'ils fassent un choix différent. Alors oui, cela va influencer, mais jusqu’à quel point? Cela va dépendre du temps pendant lequel on a des prix plus élevés.
[Il y a aussi la question de l'offre.] En 2008, le prix du brut avait atteint des sommets. Même si le prix du litre d’essence n’était pas aussi élevé qu’aujourd’hui, c'était du jamais-vu à l'époque. J’entends beaucoup de gens qui pointent justement cette période pour dire : Voyez, ce n'est pas tout le monde qui s'est acheté un véhicule électrique. Mais en 2008, il n’y avait pas autant d'offres de véhicules électriques et il n'y avait pas de programmes de subvention du gouvernement pour en acheter. On n'est pas du tout dans le même contexte. Là, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a des véhicules électriques, malgré les délais pour les obtenir.
La difficulté, c'est que tout ça arrive dans un contexte où on a une inflation qu'on n'avait pas vue depuis longtemps. À très court terme, ce n'est pas tout le monde qui peut changer de voiture. Pour des ménages à plus faibles revenus, changer de voiture ou s'acheter un véhicule électrique, ce n'est peut-être pas une option. Pour les véhicules usagés, il y en a moins en vente à bon marché. Il faut donc avoir une réflexion sur la façon de s’ajuster. Mais il faut faire attention de ne pas trop alléger les dépenses des consommateurs, parce que la hausse des prix est une bonne chose, dans une certaine mesure, si on veut accélérer la transition.
C'est un choix que beaucoup de gens vont vouloir considérer, mais, évidemment, ça va dans le sens contraire de la transition énergétique. Cela demanderait aussi la construction d'infrastructures, ce qui va prendre des années. Cela ne change donc rien au contexte actuel. En fait, ce serait même contre-productif. On s'inquiète déjà de la position à long terme des producteurs canadiens sur le marché du pétrole international, parce qu’il y a plein de pays qui essaient de remplacer ces sources-là.
« Ce qu'on ferait, c'est accroître la dépendance de l'économie canadienne à l’"extractivisme", alors qu’on ne sait pas de quoi aura l’air le marché dans quelques années. Ce serait très risqué. »
On en parle souvent comme d'un tournant pas juste pour l'énergie, mais pour une grande partie de l'économie internationale, dont on a modifié les structures d'une façon qui n'avait jamais été vue avant ou, en tout cas, pas depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pour l'énergie, c’est certainement un moment décisif. Avant 1973, il n'y avait pas d'Agence internationale de l'énergie. L'AIE a été créée en réponse au rôle accentué de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole [OPEP] qui, tout à coup, s'est montrée comme un joueur dominant qui pouvait décider du destin de plusieurs économies et puissances. On a donc changé ça. On a lancé aussi toutes sortes de programmes de conservation d'énergie qui n'existaient pas auparavant.
On avait déjà entamé une réflexion sur la croissance infinie, qui semblait impossible pour plusieurs, et aussi la considération d'autres sources d’énergie. Cela n’a pas donné un monde avec des panneaux solaires et des éoliennes partout dès 1973, par contre, ça a donné naissance à des programmes de recherche qui ont abouti plus tard, dans les années 1990, et dont on sent les effets jusqu'à aujourd'hui.