Deux vols et deux époques
TVA Nouvelles
Plus de 48 ans après le vol du cœur du frère André qui avait bouleversé le Québec, la disparition tragique de celui de Mgr Racine à Saguenay récemment ne suscite pas le même émoi, signe que les temps ont beaucoup changé, soulignent des experts.
Les observateurs contactés par Le Journal à ce sujet s’entendent pour dire que la place de la religion au sein de la culture québécoise s’est effacée au fil des ans, ce qui explique en grande partie les couvertures médiatiques très différentes des deux événements.
Alors que la saga de la disparition du cœur du frère André à l’oratoire Saint-Joseph avait fait grand bruit pendant plusieurs semaines partout au Québec en 1973, le vol du cœur de monseigneur Dominique Racine à la cathédrale de Chicoutimi il y a deux semaines est quelque peu passé sous silence.
Si le cœur du fondateur de l’oratoire Saint-Joseph fut retrouvé après 21 mois par Claude Poirier (voir encadré), le sort de celui de Mgr Racine a par contre connu une fin moins heureuse. Les autorités croient qu’il aurait été jeté aux ordures par les malfaiteurs.
Contrairement au vol de l’Oratoire, où aucune trace d’effraction n’avait été signalée, les voleurs de Chicoutimi ont quant à eux causé pour « quelques milliers » de dollars de dommages à l’intérieur de la cathédrale.
Les deux événements distincts sont survenus à deux époques « bien différentes ».
« En 1973, nous étions encore à une pratique religieuse qui était plus importante qu’aujourd’hui, malgré les changements qui étaient en cours, où le clergé se retirait de l’enseignement, des hôpitaux, des services sociaux, depuis 1960 », explique le sociologue Guy Rocher.
Même s’il garde un vague souvenir du vol du cœur du frère André, il admet que la religion faisait à l’époque couler beaucoup plus d’encre qu’aujourd’hui. « La religion était à la fois importante et contestée. La contestation était au moins aussi importante que la pratique religieuse », poursuit celui qui était professeur à l’Université de Montréal, lorsque la relique a été dérobée. Par ailleurs, le personnage du frère André était plus connu que Mgr Racine, mentionnent les experts. « Il était connu pas seulement à Montréal, mais dans tout le Québec et même internationalement. Son sanctuaire était un lieu de pèlerinage pour les catholiques américains et européens. Je vivais dans ce quartier-là à l’époque et, de temps en temps, on rencontrait un anglophone perdu, qui nous demandait où était l’oratoire Saint-Joseph », se remémore l’homme de 97 ans.
« Le frère André, contrairement à Mgr Racine, c’était presque un héros national », souligne pour sa part l’historien Denis Angers, rappelant que le frère André fut même canonisé en 2010.