Compilation Mothland: famille «mothée» en liberté
Métro
En ce 14 juillet, la petite maison de disques Mothland, qui a célébré ses cinq ans d’existence l’automne dernier, offre une compilation éclectique de matériel inédit de 14 artistes faisant partie de l’atypique famille « mothée ».
Et ce n’est pas fortuit. La sortie de Sounds from Mothland, Vol. II coïncide avec la série de concerts gratuits que présente Distorsion. Ce festival de musique psych duquel est née Mothland envahit ce soir et demain l’Entrepôt 77, à la jonction du Mile-End et de La Petite-Patrie.
Question de célébrer son essaim d’artistes, l’équipe de la maison de production — formée de Marilyne Lacombe, Maxime Hébert, Philippe Larocque et Jean-Philippe Bourgeois — leur a offert carte blanche afin de concocter ce second volume, indique Philippe en entrevue avec Métro au café Ferlucci, dans Villeray.
Cette collection d’enregistrements inédits, pour laquelle les papillons de nuit (moths) n’ont pas craint l’étrange, réunit donc « extravagances » de studio (pour emprunter l’expression à Mothland), chansons live, démos rugueux, créations spontanées et autres remixes. « L’idée, c’était de faire un album qui a du sens dans une espèce de beau bordel de sons différents », explique le mélomane. Un album que Philippe Larocque compare à un casse-tête, image que lui a inspirée sa mère, « qui était tout le temps en train d’en faire » alors que s’achevait le second volume de Sounds from Mothland. L’image excède même la métaphore. Chaque exemplaire contient l’un des 200 morceaux d’un véritable casse-tête à l’effigie de la pochette évoquant mère Nature et ses créatures sauvages, illustrée par l’artiste vancouvéroise Alexandra Mackenzie, alias Petra Glynt. Cette dernière inaugure d’ailleurs la compilation, un terrain de jeu qui a favorisé des collaborations et permis à certain.e.s de sortir de leur zone de confort, relève Philippe Larocque. Le label représente un giron d’ami.e.s artistes aux inclinations psychédéliques, expérimentales ou art pop, au sein duquel évoluent des Mothé.e.s comme N NAO, La Sécurité, Gloin, Crabe, Atsuko Chiba, Yoo Doo Right et Camille Delean. « Mothland va dans des zones où d’autres n’osent pas aller, explique son cofondateur. On n’a pas peur d’aller dans des trucs plus champ gauche. Et on n’essaie pas d’aller chercher le dernier truc hype. On ne fait pas de concessions, on produit ce qu’on aime. » Et mine de rien, « l’union fait la force derrière ça », fait-il remarquer au sujet des Sounds from Mothland. « C’est super cheezy à dire, mais nos artistes sont un peu des bibittes, et on a réussi à faire le pont entre des artistes qui n’étaient pas nécessairement reliés, avec des sons différents. Mais réunis sur une affiche, ç’a du sens. »
Agence de booking et d’artistes, Mothland représente une demi-douzaine de projets musicaux montréalais et agit en tant que tourneur pour plus de 25 artistes en Amérique du Nord. Elle organise de surcroît les festivals Distorsion et Taverne Tour, événement qui embrase les bars du Plateau-Mont-Royal l’hiver, en plus de concocter la programmation du Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue. Philippe Larocque associe la première année pandémique à un moment charnière dans l’histoire de Mothland : celui où, privée de sa vocation — organiser des spectacles —, elle s’est également muée en maison de disques. « Le label, c’était la suite logique de choses, même si ça semblait immense », affirme-t-il. Forte d’une trentaine de sorties d’albums jusqu’à présent, la boîte est « dans une bonne position », indique Philippe, qui rêvait pour sa part de fonder une maison de disques. C’est cette même année qu’est sortie sa première compilation Sounds from Mothland, inspirée des mixtapes punk en cassette des années 1980. Sa successeuse (qui se retrouve sur disque compact) se veut, elle, un hommage aux CDs gravés des années 2000 que l’on s’échangeait entre ami.e.s afin de se faire découvrir la trame sonore de nos tribulations.
Philippe Larocque se remémore les compilations officielles de succès radio qui affluaient à l’époque. « C’était juste des hits. Nous, on voulait aller complètement ailleurs », fait-il valoir, d’où l’idée du matériel inédit. « Mais on s’entend, nos artistes n’ont pas accès à des studios à l’infini ni de gros budget. On ne voulait pas que ça sonne comme un vrai album, mais que ça soit plus une espèce de fouillis. » Ce qui en fait également à ses yeux « un genre de statement contre les normes de l’industrie musicale », à son avis fort léchées. « Je trouve que la musique est souvent trop safe », expose-t-il, estimant que de nombreuses productions semblent s’uniformiser. « Surtout avec les Pro Tools et la technologie entourant la production de musique. Des fois, ça enlève l’espèce d’essence [musicale]. » Il est donc peu probable que vous tombiez sur une pièce de Sounds from Mothland, Vol. II dans une liste de lecture assemblée par les plateformes de diffusion. Mais l’équipe l’assume, affirme Philippe, qui affectionne la nature brute et authentique de la nouvelle offrande. Mothland compte bien poursuivre sur sa lancée alternative des cinq dernières années et favoriser textures et couleurs musicales singulières, sans égard aux normes. Et Philippe Larocque se réjouirait que les artistes qualifiés d’excentriques soient généralement acceptés, même s’ils dérogent aux conventions.