Comment s’éviter un procès lorsqu’on écrit de l’autofiction
Radio-Canada
Se mettre en scène, c’est également mettre en scène son entourage. Mais écrire sur l’autre comprend des risques, comme l’ont appris certains écrivains et écrivaines, que l’on pense à Christine Angot, qui a dû débourser des milliers d’euros en indemnisation, ou, plus récemment, à Emmanuel Carrère, qui sans avoir subi de procès a été vivement critiqué par son ex-femme. Et qu’en est-il au Québec?
Mathilde Barraband est professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Son plus récent projet de recherche porte sur les écrivains et écrivaines en procès au Québec et en France. Elle ne connaît qu’une écrivaine québécoise qui a été poursuivie pour diffamation, Gabrielle Gourdeau. L’autrice avait publié la nouvelle Gros câlisse, dans laquelle le plaignant s’est dit s’être reconnu, mais l’affaire n’a pas pu être entendue jusqu’au bout en raison de la mort des protagonistes.
Il y a beaucoup plus de procès en France. On peut l’expliquer par le volume de publications, mais je pense que la liberté de création en France est pas mal plus malmenée qu'ici. Ce qui domine très largement les procès, c’est des procès d’atteinte à la vie privée et de diffamation.
Professeure de littérature à l’Université Laval et écrivaine, Sophie Létourneau est aussi d’avis que le droit à la vie privée est une valeur plus chère à la population française qu'à celle du Québec. En général, ajoute-t-elle, je pense que les Québécois, on est plus ouverts.
Mathilde Barraband croit tout de même que le phénomène est présent ici. J’ai l’impression qu’il y a une culture judiciaire [d'entente à l'amiable] au Canada qui n’existe pas en France. Je pense qu’il y a beaucoup de médiation et qu’elle ne laisse pas de trace.
Les motifs de poursuite
Madame Barraband explique que deux motifs peuvent être évoqués par un ou une proche pour poursuivre une personne : l’atteinte à la vie privée et la diffamation. Quand on regarde la jurisprudence, on sait que certains sujets sont considérés comme étant de la vie privée. Par exemple, la sexualité, la santé. Quant à la diffamation, c’est lorsque l’écrivain ou l'écrivaine révèle quelque chose de dégradant, que ce soit vrai ou non.
Mais contrairement à d’autres infractions, comme le délit d’écriture pédopornographique, il n’existe pas de règles définies. Ce qui dans une famille peut être considéré comme dégradant ne l’est pas dans une autre. Ce qui doit rester dans l’intime ne l’est pas dans l’autre.
Par exemple, Pier Courville a publié un roman très intime, autobiographique, dans lequel elle raconte la naissance de ses jumeaux, nés prématurément. Petits géants met en scène sa famille, ses proches et le personnel médical. Pour les bébés, je me suis vraiment posé la question par rapport à chaque chose que j’ai écrite, révèle l’écrivaine franco-ontarienne. Quel impact ça pourrait avoir sur leur vie quand ce sera des adultes? Son mari lui a pour sa part donné carte blanche.