
Choc des idées entre André Pratte et Joseph Facal: lisez leurs lettres «Cher Joseph...» et «Cher André»
TVA Nouvelles
Cher Joseph,
Je prends la liberté de reprendre le ton, respectueux et amical, de l’échange de lettres que nous avons ensemble publié il y a 16 ans (Qui a raison? Lettres sur l’avenir du Québec, Éditions du Boréal, 2008).
À l’époque, nous avions fait le pari, toi et moi, de débattre par écrit de l’avenir politique du Québec en évitant les montées de lait et les insultes qui caractérisaient trop souvent, selon nous, le débat sur le statut constitutionnel de notre nation. Le défi, je pense, avait été relevé avec succès. Nous sommes sortis de cette correspondance tous les deux enrichis, et j’ose espérer qu’il en fut de même pour nos lecteurs. J’ai cru aussi que nous en étions aussi sortis meilleurs amis.
Depuis, je continue à te lire assidûment dans les pages du Journal de Montréal. Toutefois, je me désole de voir que le fossé entre nous s’est élargi. Le ton que tu emploies ne me semble plus empreint du même respect que celui que nous nous étions fixé comme règle absolue en 2008. Je pourrais citer plusieurs textes, mais je me contenterai de relever la conclusion de ta plus récente chronique (C’est le régime canadien qui entretient nos chicanes, 27 août 2024), portant sur les divisions politiques entre Québécois:
«Bref, déplorer la “division”, c’est une façon perfide et grossière de nous dire de rester muets et couchés. Et cela dure depuis près de trois siècles.
«C’est toujours celui qui regrette que vous ne pensiez pas comme lui qui déplore la “division”.
«Il est vrai que rester bien sages, afin de ne pas “diviser”, c’est une bonne façon de recevoir des marques d’affection du maître et des biscuits en guise de récompense.»
Je trouve cette description, qui vise les Québécois ne partageant pas tes convictions souverainistes, profondément insultantes. Elle reprend une vieille idée selon laquelle les gens qui rejettent l’indépendance le font uniquement par intérêt, en échange des faveurs «du maître». C’est ainsi que les indépendantistes n’ont cessé au cours des décennies de traiter leurs adversaires de «vendus», surtout quand certains de ceux-ci occupaient une fonction au gouvernement fédéral. J’en sais quelque chose, ayant eu le malheur d’accepter une nomination au Sénat. J’ai quitté ce siège depuis, mais l’idée est restée que je ne serais rien d’autre qu’un profiteur, un mercenaire de luxe. Comme si occuper un poste au gouvernement du Canada était incompatible avec une réelle sincérité dans ses convictions.
Donc, les fédéralistes inciteraient les Québécois, de «façon perfide et grossière» à rester «muets et couchés»? Je suppose, Joseph, que tu penses ici à des gens comme Adélard Godbout, Jean Lesage, Paul Gérin-Lajoie, Georges-Émile Lapalme, Robert Bourassa, et plusieurs autres qui ont puissamment contribué à façonner le Québec moderne? Selon les sondages, il se trouve environ six Québécois sur dix qui ne rêvent pas au grand soir de l’indépendance. Tous des «muets et couchés»?