Au Texas, l’avortement se cache pour exister
Radio-Canada
Emma nous accueille dans son petit bungalow situé dans l’une des plus importantes villes du Texas. C’est dans son salon coloré qu’il y a quelques mois à peine elle avalait des comprimés pour avorter, sans l’aide ni le suivi de personnel médical.
Depuis le 1er septembre 2021, au Texas, un médecin peut seulement intervenir pendant les six premières semaines de la grossesse. Après, l’avortement devient illégal. Et ce ne sont pas les autorités texanes qui appliquent cette loi. On donne plutôt le droit aux citoyens de n’importe quel État d’intenter une poursuite contre quiconque est soupçonné d’avoir aidé une femme à obtenir un avortement.
« J’ai appelé ma clinique médicale Planned Parenthood. Ils ont calculé au téléphone que ma grossesse dépassait la barre des six semaines. Et donc, on ne pouvait pas me fournir de services. »
Pourtant Emma, 29 ans, ne doute pas une seule seconde de son désir de ne plus être enceinte. Une connaissance lui donne un médicament qu’elle a acheté au Mexique pour interrompre sa grossesse. Emma va sur YouTube visionner des vidéos de Médecins sans frontières qui guident les femmes qui souhaitent avorter dans un contexte où elles n’ont accès ni à une clinique ni à un médecin.
Elle essaie une première fois, mais la nausée et la grande fatigue qu’elle éprouve persistent. Un doute s’installe. Elle prend rendez-vous avec un médecin en lui cachant le fait qu’elle tente de mettre un terme à sa grossesse. À l’échographie, ce dernier la félicite : elle est enceinte.
Un deuxième cocktail de médicaments pris chez elle aura finalement les résultats escomptés, mais pas sans douleur et sans peur. Ce deuxième essai a été l’expérience la plus douloureuse de ma vie. Je me souviens que j’étais sur le sofa et que je voulais mourir, relate-t-elle.
Lors de l’adoption de la loi SB-8, qui interdit les interruptions volontaires de grossesse (IVG) passé la barre des six semaines, le gouverneur du Texas a expliqué être déterminé à sauver la vie des enfants morts par avortement. Les victimes de viol et d’inceste ne sont d’ailleurs pas exclues de la loi.
Cet objectif est, dans les faits, loin d’être atteint, selon un groupe de recherche de l’Université du Texas à Austin. Dans les 30 premiers jours de l’entrée en vigueur de la loi, les avortements au Texas ont baissé de 50 %. Mais la chercheuse principale du Texas Policy Evaluation Project a aussi calculé que les livraisons de médicaments abortifs et les voyages vers les cliniques des autres États ont explosé.
« Je crois qu’il est juste de dire que la loi n’a pas éliminé le besoin de services en avortement, mais qu’elle a changé la possibilité pour les gens de les obtenir dans l’État. »