Après 50 ans de carrière, Patrick Norman tire sa révérence
TVA Nouvelles
Mine de rien, Patrick Norman vient d’avoir 75 ans. Au cours d’une carrière qui s’étale sur plus de 50 ans, il a popularisé d’immenses succès, et c’est par millions que l’on compte les albums et chansons qu’il a vendus. Ne voulant laisser derrière lui que le meilleur, il a décidé d’entamer sa tournée d’adieu. Ensuite, il accrochera sa guitare.
«Dans cinq ans, j’aurai 80 ans. Une tournée, on sait quand ça commence, mais jamais quand ça finit. Même si c’est le plus beau métier du monde, j’aimerais, avec le temps qu’il me reste, faire autre chose de ma vie que de toujours parcourir la province. Dans les accalmies de cette série de spectacles, ça va peut-être me tenter de voyager ou de faire autre chose? Je suis comblé par la vie et je suis en amour. Je veux profiter du privilège d’avoir vécu longtemps», dit-il, conscient qu’il a beaucoup donné à son métier et peut-être pas assez profité de sa propre vie.
Avant de prendre cette décision irréversible, il avait lancé, en 2019, un nouvel album. Il s’était aussi fait opérer à la main gauche. Cela devait, espérait-il, lui permettre de retrouver peu à peu sa dextérité et surtout minimiser la douleur qu’il endurait depuis des années en jouant de son instrument fétiche. Peine perdue, le mal était fait. «Comme je ressens de la douleur, j’ai moins de plaisir à jouer. Comme j’ai moins de plaisir à jouer, je me sens moins bon. Et le fait d’avoir été penché au-dessus de ma guitare, en studio, pendant des heures et durant des années, m’a aussi occasionné de l’arthrite et de l’arthrose dans l’épaule. Chaque fois, c’est un combat entre moi et moi. En vérité, je ne fais que retarder l’inévitable.»Un dernier tour de piste
L’idée de faire une tournée d’adieu n’est pas venue de lui, mais de son agent et ami, Daniel Bélanger — non, pas le chanteur —, qui voyait poindre cette éventualité à l’horizon. «Quand il me l’a proposé, je me suis aperçu que j’y avais déjà songé, mais que j’avais repoussé cette idée. Je ne me sentais pas rendu là, mais par la force des choses et en raison de la douleur, j’en suis là», explique le chanteur. Après avoir passé des mois en studio à enregistrer ses nouvelles chansons, mis l’album sur le marché, offert sa tournée à des diffuseurs, fait des répétitions avec ses musiciens, Patrick était fébrile à l’idée de retrouver à nouveau son public. «Ce spectacle s’inscrivait dans le cadre de mes 50 ans de carrière. J’étais allé enregistrer l’album à Nashville. Pour l’occasion, je m’étais offert la crème de la crème des musiciens, dont Brent Mason. Il est reconnu comme l’un des meilleurs guitaristes de studio au monde. Il a travaillé avec George Strait, Alan Jackson, Shania Twain, Blake Sheldon et Neil Diamond. La tournée venait à peine débuter, puis tout s’est arrêté.» Presque un an et demi plus tard, sa tournée Si on y allait, qui devait être une invitation pour ses fans à poursuivre ce qu’ils avaient entrepris ensemble 50 ans plus tôt, est plutôt devenue son chant du cygne. «C’est le même spectacle. Je n’ai rien changé ni voulu l’appeler La tournée d’adieu de Patrick Norman. En fait, il faut dédramatiser tout ça. Ce n’est pas quelque chose de malheureux qui m’arrive. Au contraire, c’est lumineux. Je me sens très bien face à cette décision», dira-t-il l’air en paix.
Comment te dire adieu? C’est un rare privilège de pouvoir choisir le bon moment pour se retirer. Même les plus grands artistes ratent parfois leurs sorties de scène. «Je me souviens de la tournée d’adieu de Georges Guétary. Je crois qu’elle avait duré 20 ans. (rires) Il y a aussi Charles Aznavour qui n’arrêtait pas de revenir. “Il faut savoir quitter la table lorsque l’amour est desservi”», dit-il en citant les paroles d’Il faut savoir. Quand on lui demande les hauts faits de sa carrière, il évoque sans hésitation certains de ses plus beaux souvenirs et ses grands accomplissements. «Avoir partagé la scène avec des artistes tels que Chet Atkins et Gilbert Bécaud. L’une des plus belles interprétations de ma carrière, selon moi, ç’a été au Spectrum de Montréal, où j’avais chanté Mac Arthur Park avec 13 musiciens. C’était un moment magique. Je me rappelle aussi toutes les fois où je faisais 104 de fièvre et montais malgré tout sur scène. Je suis très fier d’avoir livré la marchandise», raconte l’artiste populaire. Si Patrick Norman n’a jamais laissé les événements ou ses émotions prendre le dessus sur sa musique, ces temps-ci, il avoue qu’il peine à chanter Perce les nuages, une chanson très populaire de son répertoire. Elle lui fait penser à sa mère, Marguerite Gaudet, qui vient de mourir à l’âge de 101 ans. «Elle est décédée le 2 avril. Elle a attendu le lendemain de son anniversaire pour s’en aller. Depuis, je n’ai jamais réussi à la chanter sans pleurer. D’ailleurs, Nathalie (Lord), ma conjointe, qui m’accompagne sur scène, sait que si je lui fais un signe, cela veut dire qu’elle doit m’aider à la finir. Je n’ai pas encore réussi à la chanter au complet en solo», mentionne-til, s’en voulant presque d’en être encore incapable. Outre l’émotion d’avoir perdu l’auteure de ses jours, Patrick Norman parle avec tristesse de ses derniers moments. «Les trois derniers mois de sa vie ont été abominables. Maman avait fait une chute dans la résidence où elle vivait. À cause des mesures sanitaires, seuls ma sœur et moi pouvions la visiter à l’hôpital. Nous devions porter des visières, des lunettes, des gants, des jaquettes et des masques. Elle se sentait comme en prison. (Sa voix craque.) Pour la première fois de ma vie, je voyais ma mère impuissante, et nous ne pouvions rien faire. Je trouvais qu’elle ne méritait pas une fin aussi triste. Je sais qu’il y a des milliers de gens qui ont vécu la même chose que moi. Sachez que je compatis avec vous. Heureusement, j’étais là lors de son dernier souffle. Quand elle est partie, et je n’utilise jamais ce mot, je me suis dit “Alleluia!”», confie-t-il en essuyant ses larmes.
Dans le rétroviseur Avec une carrière qui s’étale sur un demi-siècle, les creux de vagues de la popularité et les modes musicales, il est normal de se demander si, en cours de route, Patrick n’a pas été tenté de faire autre chose pour gagner sa vie. «Oui, dans les années 1980, j’ai failli aller vendre des fenêtres thermos. Un de mes amis, qui était actionnaire d’une grosse compagnie de fabrication de fenêtres, me disait que j’allais faire de l’argent comme de l’eau. M’auriez-vous vu vendre des châssis?» demande-t-il en riant. Encore aujourd’hui, malgré toutes ces années, Patrick Norman évoque ouvertement son alter ego, Yvon Éthier, le nom qu’il portait à la naissance. Quand on demande à Yvon ce qu’il a appris de Patrick, sa réponse est révélatrice. «Qu’être humble, ça peut te servir. Moi qui ne croyais pas en moi, je n’aurais jamais imaginé un jour gagner ma vie ainsi. J’ignorais ma valeur. À mes yeux, les autres étaient toujours meilleurs que moi.» Tiens toé! Les plus vieux se souviendront qu’à une certaine époque, les humoristes s’en donnaient à cœur joie au sujet de sa chevelure et de son look, lui qui cachait sa calvitie à l’aide de perruques et ensuite de foulards. «C’était un paquet de troubles. Dans ce temps-là, il fallait avoir une belle chevelure pour avoir l’air viril. Maintenant, tout le monde sait que les hommes les plus virils sont chauves! (rires) J’ai gardé une perruque, mais surtout tous les foulards que je n’avais portés qu’une seule fois en spectacle. Ils ont été lavés et transformés en coussins. Je les vends dans ma boutique de produits dérivés durant mes spectacles», dira-t-il, faisant, sans même s’en vanter, un sacré pied de nez à ses détracteurs de l’époque. Patrick Norman poursuit sa tournée d’adieu Si on y allait, dont l’album est offert en magasin. Pour toute information, consulter le site patricknorman.ca.