
5 questions pour Brigitte Haentjens sur son roman Sombre est la nuit
Radio-Canada
Brigitte Haentjens enchaîne les projets. Parallèlement aux répétitions de la pièce Rome, elle vient de publier son nouveau roman, Sombre est la nuit. Avec Mai 68 en toile de fond, le roman traite d’« emprise plus que de violence conjugale », souligne la romancière et metteure en scène. Catherine Morasse en a discuté avec elle.
Le processus de l'écriture est toujours quelque chose de long et lent dans mon cas. Je ne suis pas quelqu'un qui crée rapidement. La première page m’est restée très longtemps, presque deux ans, avec cette image : un homme déchu sur une plage. Comme si j’avais tiré le fil tranquillement, la pelote de laine s’est dévidée.
Je n’avais pas imaginé écrire là-dessus spécialement. Aussi, ce qui est apparu dans l’écriture, c'était le contexte. Ça m'a vraiment passionnée de réfléchir au contexte post-Mai 68 dans les milieux intellectuels et psychiatriques que j’ai connus. Ça m’a moi-même surprise et intéressée de voir comment une déchéance intime pouvait s'arrimer à une déchéance politique
Pour moi, c’était une époque extraordinaire. J’allais prendre des cours à Vincennes. Bien que je n’étais pas étudiante à plein temps à Vincennes, j’y allais régulièrement. C'était une ébullition incroyable. À l'époque, j'étais assez jeune et assez naïve peut-être, j’avais une forme de naïveté. C'est un milieu qui regroupait toutes les forces vives de l’intelligentsia française. On côtoyait les plus grands philosophes. C'était l’accessibilité aussi, tu pouvais parler à Pasolini. Je n’imagine pas que ce soit possible aujourd’hui, où tout est beaucoup plus sectorisé, fragmenté, et où les élites se cachent dans leur coin. Peut-être que c’est un peu différent au Québec, parce que c’est plus familial, plus relax. En France, je ne connais plus ces milieux, mais j'imagine que ce n'est plus du tout ça non plus.
Dans les mouvements d'extrême gauche que j’ai pu fréquenter, c'était extrêmement phallocrate. Comme je le dis dans le livre, les femmes servaient le café. Puis, en y réfléchissant, je me disais qu’un mouvement qui excluait les femmes ne pouvait vivre. À l'époque, je n'avais pas conscience du tout de ça. Mais aujourd’hui, avec le recul, c’est ce que je me dis. Parce qu’une société qui exclut la moitié des personnes, c’est sans avenir.
C’est un roman, c’est une histoire, ce n’est pas la mienne. Je n'ai pas d’amertume. J’essaie de garder certains des idéaux que j’ai eus et que j’ai toujours. Du point de vue de l’histoire qui est racontée, oui, il y a tout de même une désillusion.
J’ai choisi de mettre en scène des psychiatres car ça m'a toujours intéressée. C’est un milieu que j’ai côtoyé, sans en faire partie. La maladie mentale, la folie, le psychisme m'intéressent beaucoup. Dans le métier que je fais, j’y trouve mon compte.
Ce qui est arrivé, je pense, c’est que les structures des mouvements d'extrême gauche permettaient une sorte de refuge à ce qu’on appelle aujourd’hui la maladie mentale. Quand les mouvements ont éclaté, c’est comme si les troubles de certaines personnes ont décompensé [...] sans cette sécurité que donnaient d’une façon les noyaux d'extrême gauche qui étaient très rigides, mais aussi familiaux. Ça protégeait peut-être des troubles. C’est un milieu qui est passionnant car à l’époque, il y avait tout ce mouvement pour désaliéner la folie. On n’imagine pas la façon dont était traitée la maladie mentale à cette époque, juste avant mai 1968.
Ce texte a été écrit à partir d'une entrevue réalisée par Catherine Morasse, chroniqueuse culturelle à l'émission Les matins d’ici.Les propos ont pu être édités à des fins de clarté et de concision.