Écoscéno donne une deuxième vie aux décors de théâtres et de musées
Radio-Canada
C’est une petite révolution qui prend forme dans l’entrepôt d’un vaste bâtiment de l’est de Montréal, près du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Au beau milieu des hauts rayonnages où sont rangées des meubles, des accessoires de décor et des matériaux de construction, Anne-Catherine Lebeau est assise à son bureau. Comme pour marquer l’importance de sa présence dans cette caverne d’Ali Baba, devenue réalité grâce au soutien du Théâtre Duceppe, qui lui prête en partie son entrepôt.
Actuellement, à la fin d’un spectacle, d’une exposition ou d’un tournage d’une publicité, la très grande majorité des matériaux utilisés sont jetés. Tapis, panneaux, plateformes, meubles, rideaux de scène et prélart aboutissent dans des conteneurs parce qu'il n’y a pas de place pour les conserver, les remiser, ou parce qu'on ne pense aux conséquences de ces rebuts sur l’environnement.
On s’est dit que cela n’avait pas de bons sens et qu’il fallait faire quelque chose. Elle et trois de ses amies avaient ce sentiment commun. « On a tous des enfants. Qu’est-ce qu’on est en train de faire? On pose nos petits gestes quotidiens pour la planète à la maison, mais dans nos vies professionnelles, on remplit des conteneurs de matériaux neufs! Il y a une contradiction tellement intense.
Son retour aux études à la maîtrise en Gestion d'organismes culturels à HEC Montréal l’a aussi éclairée. Dans mes cours, on ne parlait jamais d’environnement. J'étais très mal à l’aise avec ça . C’est finalement grâce à un cours sur la décroissance qu'elle a découvert le milieu de l’innovation sociale. Elle a ensuite été initiée au concept d’économie circulaire. Deux thématiques qui l’ont convaincue. Avec ces façons de penser, j’en suis venue à la conclusion qu’on était capable de transformer les pratiques du domaine culturel. Son mémoire de maîtrise est d’ailleurs devenu le premier plan d’affaires d’Écoscéno.
Anne-Catherine Lebeau déplore qu’il n’existe pas de données sur les quantités de matières jetées dans le secteur culturel au Québec. Mais une chose est certaine, selon elle, pour les créateurs du milieu, c’est très lourd à porter de jeter tout ça aux poubelles. Ça peut créer une détresse psychologique réelle.
Jeter est vraiment la dernière option dans les actions à privilégier. Beaucoup d’argent s’en va aux poubelles. Nous sommes appelés à faire de gros changements systémiques. Écoscéno, c’est un banc d'essai intéressant pour donner une impulsion dans ce sens-là, estime sa fondatrice.
Depuis sa création, Écoscéno évalue qu’il a remis en circulation 218 tonnes de matériaux, formé 569 participants et sensibilisé plus de 390 organismes culturels à des pratiques écoresponsables.
Plus globalement au Québec, un fait demeure : les secteurs de la construction, de la rénovation et de la démolition sont d’importants générateurs de résidus. La professeure de génie de la construction à l’École de technologie supérieure à Montréal (ETS), Annie Levasseur, le confirme. Elle rappelle que ce sont les plus grands consommateurs de ressources naturelles et les plus grands producteurs de déchets destinés à l’enfouissement.
Au Québec, l’économie circulaire ne représente que 3,5 % de l’ensemble de l’activité économique et le secteur de la construction ne fait pas mieux que ça, affirme Annie Levasseur, qui est aussi associée au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire, le CERIEC. Produire des matériaux demande énormément d’énergie. Ce qui explique qu'à lui seul, le secteur de la construction émet 40 % des GES dans le monde.