«Punching Bags»: décoloniser l’imaginaire
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Avec l’installation interactive Punching Bags, le Montréalais d’adoption Eddy Firmin cherche à désactiver le système des violences que subissent les corps des personnes afro-descendantes.
Trente punching bags en porcelaine pivotent sur eux-mêmes à l’approche du public dans la salle Botrel à NDG. Certains ont la forme du visage tuméfié du céramiste, d’autres celui de sa fille. Lorsqu’ils se tournent, des fleurs peintes à leur endos s’offrent au spectateur. Aucun effort n’a été fait pour masquer la mécanique de l’exposition. Au contraire, les fils électriques et le câblage fusent hors des œuvres et lézardent les murs derrière elles. Le grincement des pivots emplit la salle. «Le côté systémique de la violence est bel et bien là», souligne l’artiste-chercheur joint par téléphone à Halifax, où il enseigne au Nova Scotia College of Art and Design (NSCAD).
«Les violences que j’ai reçues comme afro-descendant ont souvent été tues et sont innombrables», affirme le céramiste d’origine guadeloupéenne. C’est en établissant ce bilan qu’a surgi l’idée du punching bag, «une surface sans agentivité qui n’existe que pour recevoir des coups», résume-t-il. Les fleurs qui ornent les porcelaines sont un signe d’amour, explique-t-il: «On n’offre pas des fleurs à son ennemi.» C’est dans cet esprit que l’artiste envisage une fin possible aux violences perpétrées contre ses ancêtres, lui-même et sa fille. Avec cette exposition, il remonte dans ses origines pour enseigner à sa fille sa propre histoire.
La décolonisation de l’imaginaire occupe une place centrale autant dans la thèse que dans l’œuvre du docteur en études et pratiques des arts de l’Université du Québec à Montréal. Eddy Firmin remet en effet en question les logiques transculturelles qui façonnent la pratique visuelle depuis plus d’une décennie.
Chaque punching bag symbolise un aïeul que l’artiste a identifié dans la reconstitution de son arbre généalogique. Une sculpture du plus ancien maillon, Virginie Carrillon, est située à l’extrémité du réseau de fils et marque le point de départ de l’installation. Virgine Carillon étant inscrite par l’État civil français peu après la fin de la traite négrière de 1817, Firmin croit qu’elle doit son nom aux cloches que l’on fixait au cou des nouveaux arrivants, plus susceptibles de s’enfuir.
Avec la fin du commerce d’esclaves en France, la seule façon pour les colons d’assurer la pérennité du système d’exploitation était par le ventre des femmes. Virginie Carrillon avait déjà trois enfants quand elle a été admise dans les registres nationaux en 1830. Eddy Firmin croit qu’elle a débarqué, à l’adolescence, d’un des derniers navires d’esclaves en Guadeloupe ou d’un arrivage de braconniers.
La transmission du savoir constitue une valeur que l’enseignant Eddy Firmin a acquise de l’étude des esclaves et des pratiques ancestrales. En ce sens, il souhaite que son œuvre contribue à l’apprentissage de sa fille et de sa génération sur leur histoire commune. «Cette exposition ne touche pas que moi, il faut la voir de façon historicisée», indique le chercheur au sujet de l’installation, qui récupère l’expérience de sept générations sur trois continents. « Pour désactiver les violences, il faut les comprendre en profondeur plutôt que d’opposer une blessure à une autre. Sinon ça devient un dialogue de sourds», insiste l’artiste et enseignant.