« God save the King, hooray, hooray, hooray! »
Radio-Canada
Ce matin, quelques heures avant la proclamation royale, en quittant l’hôtel pour me rendre au palais Saint-James, un chauffeur de taxi m’a interpellée : « Hey! Vous savez que vous allez vivre l’Histoire, n’est-ce pas? »
Deux heures avant la cérémonie officielle, les rues avoisinantes du palais Saint-James étaient déjà bondées. Combien étaient-ils? Des centaines de milliers? Des femmes en talons hauts, des hommes avec des bouquets de fleurs, des vieux, des jeunes, des enfants. Ils étaient venus non pas pour assister au moment historique, mais pour le vivre.
Jusqu’à 11 h 00, la foule s’est tenue, patiente et disciplinée, derrière les barrières de métal. Des policiers courtois et souriants dirigeaient cette marée humaine étonnamment silencieuse. Une minute plus tard très exactement, comme si un chef d’orchestre invisible leur avait donné la note de départ, ces centaines de milliers de personnes se sont mises à chanter God Save The King. On aurait dit une immense chorale. Aucune fausse note, un moment hors du temps. L’Histoire qui chante. La foule a ensuite clamé trois fois, « hooray ». Puis elle s’est tue.
C’est un moment poignant, un moment où nous vivons l’essence de ce que c’est que d’être britanniques, a résumé Vincent Goodman qui a attendu plus de deux heures avec son chien Schnitzel dans l’espoir d'apercevoir son nouveau roi passer en limousine. Car les Britanniques présents en ce samedi matin voulaient plus que tout le voir, ce nouveau Roi. Where is he? Is that his car?, se demandaient-ils sur les trottoirs. Passera-t-il par ici ou par là-bas? Les Britanniques connaissent Charles, ils l’ont vu grandir et vieillir, ils ont suivi les aléas de sa vie personnelle dans les magazines à potins, mais en ce jour de proclamation, c’est autre chose. Charles est entré dans leur Histoire. Il est désormais, Charles III, leur souverain.
Lorsque nous voyons finalement le Roi passer dans sa voiture, la lentille d’Ivanoh capte le regard d’un humain, très ému. Que se passe-t-il alors dans la tête de Charles? Comment, lui, vit-il l’Histoire? La mort de sa mère?
Devant le palais de Buckingham, les fleurs s’accumulent toujours en l’honneur de la vénérable défunte. Parmi les endeuillés, une petite fille tient solidement un joli bouquet d’iris. Du haut de ses 10 ans, Isabelle Bewers m’explique qu’elle voulait absolument venir rendre hommage à la reine Élisabeth qui a tant fait pour son pays. Le pays a un nouveau roi, certes, mais il vit aussi le chagrin de la perte de sa mère, un deuil qui s’articule jusque dans les commerces londoniens.
Un exemple parmi d’autres : au très prestigieux magasin Fortnum and Mason sur Piccadilly Circus, où l’on vend du thé et de la porcelaine depuis 1707, on a retiré des tablettes la vaisselle à l’effigie de la reine. Ça n’aurait pas été approprié en ce moment, nous explique poliment le gérant, Danith Kannangara.
Dans la rue, dans les kiosques de souvenirs, il n’y a plus d’images, de cartes postales, ni de bébelles de la Reine. Nous n’avons plus rien. Tout a été vendu, dit Michael Roberts devant son petit commerce de babioles. Et, les objets souvenirs de Charles ne sont pas encore arrivés.
C’est peut-être ça, vivre un moment d’histoire, ce moment bref, fugace où l’Histoire n’a pas encore trouvé son chemin sur des gaminets ou des porte-clés.