Une amitié improbable née d’une explosion épouvantable
Radio-Canada
Depuis qu'un train fou a ravagé le centre-ville de Lac-Mégantic, Jean Clusiault a dû apprendre à vivre sans sa fille, Kathy. De son côté, l’ancien contrôleur de la circulation ferroviaire à la Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA) Richard Labrie compose avec les « si j’avais... ». Au fil des ans, non seulement les deux hommes se sont liés d’amitié, et, surtout, mais ils ont continué à avancer. Ensemble.
Devant l’église Sainte-Agnès de Lac-Mégantic est érigé un mémorial taillé dans le granit. Les noms des 47 victimes de l’explosion du 6 juillet 2013 y sont inscrits, avec tout en haut le verset Moi, je ne t’oublie pas : j’ai ton nom gravé sur les paumes de mes mains. Parmi ces noms, Jean Clusiault montre celui de Kathy, sa fille, emportée par l’explosion alors qu’elle avait 24 ans.
Cette jeune femme venait d’emménager dans un appartement du centre-ville. Quand le train de pétrole brut a explosé, en pleine nuit, elle n’a eu aucune chance. Pour son père, le monument installé à quelques dizaines de mètres des lieux de l’accident est symbolique et important; il sert notamment à rappeler la vie à 100 milles à l’heure de Kathy.
Elle était unique et elle était spéciale. [...] Elle me manque, c’est certain. Ses câlins, son sourire [...]. Elle était partante sur tout. Elle était un peu comme moi au même âge. Dormir, c’était une perte de temps, raconte-t-il, fier de sa fille.
« Ça va faire 10 ans. Ce n’est pas comme à la petite école; tu n’effaces pas un tableau avec une brosse. C’est marqué au fer rouge. »
Cette année, pour le 10e, la douleur va peut-être plus intense, un peu. Mais à part ça, en général, j’ai bien dealé, constate-t-il.
La nuit de la tragédie, Richard Labrie était, quant à lui, contrôleur de la circulation ferroviaire pour la MMA. En poste de Farnham, il dirigeait les convois qui circulaient sur les rails. Je me rappelle, cette nuit-là, comme c'était angoissant. Je me sentais tellement impuissant, dit-il.
En 2014, il a été accusé, avec le chef de train Thomas Harding et le gestionnaire Jean Demaître, de négligence criminelle causant la mort. Ce n’est qu’en 2018 qu’un jury les a déclarés non coupables. J’ai eu un soulagement incroyable.[...] Je me suis assis et je me suis dit : "enfin, c‘est fini", se rappelle-t-il. La MMA, elle, ne subira jamais de procès.
Même s’il a été blanchi de toute accusation criminelle et pénale, Richard Labrie doit vivre avec beaucoup de remises en question et de culpabilité. C’est le "si j’avais fait ça..."; c’est toujours ça, résume-t-il.