Poutine « ne peut plus s’arrêter », croit le philosophe ukrainien Constantin Sigov
Radio-Canada
Terré dans son sous-sol à Kiev, le philosophe et éditeur ukrainien Constantin Sigov, en entrevue à l’émission Désautels le dimanche, appelle les grands dirigeants du monde « à repousser le pouvoir criminel » du président Vladimir Poutine.
Michel Désautels : Est-ce qu’on peut parler d’un dimanche un peu plus calme que les journées précédentes?
Constantin Sigov : Non, on ne peut pas dire cela. Très concrètement, c’est plutôt le contraire. Tout près de Kiev, deux enfants blessés sont morts parce qu’ils n’ont pas pu avoir d'aide médicale. Ils [les secouristes] ont été bloqués malgré le fait que les troupes russes étaient averties. On a entendu tout à l’heure des tirs d’artillerie lourde russe. La situation est plutôt grave. Nous apprenons aussi le désastre, une catastrophe humanitaire dans la ville de Marioupol. Nous sentons notre responsabilité pour le pays. En plus, à Kharkiv, les tirs ont touché l’Institut de physique nucléaire, où il y a des appareils nucléaires. À mon avis, c’est le défi réel qui est lancé à toute l’Europe.
Michel Désautels : Puisque vous avez mentionné le mot nucléaire, il faut en parler. Il y a un peu plus d’une semaine, ce sujet a été ramené au premier plan de l’actualité à trois reprises. Est-ce l’élément le plus capital, à votre avis?
Constantin Sigov : Oui, je pense que c'est un signal très concret, une provocation lancée à toute l’Europe, parce que les nuages de la catastrophe de Tchernobyl ne se sont pas arrêtés aux frontières ukrainiennes ni même de la France, de l’Italie ou de l’Allemagne. Ils ont traversé toute l’Europe, et aujourd’hui, nous assistons à un danger encore plus grave, à une situation encore plus grande que Tchernobyl. La rhétorique selon laquelle l’Europe occidentale n’est pas encore en conflit est complètement désuète. Il faut regarder la réalité en face pour des raisons aussi écologiques que nucléaires. Tout notre continent est sur le champ de bataille.
Michel Désautels : Avec ces gestes-là, le président Poutine agite la peur nucléaire sans avoir même tiré un seul missile équipé d’une tête nucléaire. C’est obtenir le résultat sans prendre les risques?
Constantin Sigov : Écoutez, il prend aussi évidemment les risques pour ses propres soldats et pour ses propres citoyens, sans parler d’un pays comme le Bélarus. Et encore une fois, il se moque éperdument de ses propres citoyens. Il a déjà donné l’ordre de mettre les soldats russes dans des fosses communes. Pour lui, ses propres citoyens, c’est de la chair à canon. Le danger de la catastrophe nucléaire, c’est plutôt le danger orienté vers les pays qui ont le sens de la vie humaine, des risques et du prix de chaque vie humaine. Ce n’est pas le cas du dictateur Poutine.
Michel Désautels : C’est pourquoi vous faites un appel aux Européens en disant que c’est notre guerre à tous. Ce caractère global a-t-il été bien perçu à l’étranger?
Constantin Sigov : Pas assez, à mon avis. On sent le danger, mais justement, c’est la politique de l’autruche en disant que c’est là-bas que ça se passe, c’est loin de chez nous, c’est quelque part à l’Est. Ce n’est pas vrai, surtout pour des pays qui sont en Europe. À mon avis, toute l’Union européenne est déjà concernée. Et Poutine n’a jamais caché que son but, ce n’est pas seulement d’envahir l’Ukraine : c’est aussi de diviser l’Union européenne et de régner, c’est-à-dire d'être le gendarme de l’Europe. C’est absolument anachronique, inadmissible et barbare.