La santé des sols dans la ligne de mire des multinationales
Radio-Canada
« Kom kom tannies! » « Venez, venez, les matantes! » C’est par ces mots affectueux, prononcés en afrikaans, que Riani Lourens appelle ses vaches au fond du champ. La jeune agricultrice de 23 ans est originaire d’Afrique du Sud. En 2017, sa famille achète une ferme de bovins et de grandes cultures dans la région de Yorkton, en Saskatchewan.
Épuisés par des années de monoculture, les sols ne sont pas en bon état. Après la première année, on s’est rendu compte qu’on avait dépensé beaucoup pour de l’engrais et des pesticides. On arrivait à peine à faire nos frais en travaillant toute l’année. Alors on s’est dit : "il doit y avoir une autre façon de faire les choses", affirme Riani.
En 2019, un déclic se produit. Riani et son père participent à une rencontre organisée par la Soil Health Academy, un organisme à but non lucratif qui enseigne les pratiques régénératrices aux agriculteurs. Pour Riani, c’est une révélation.
« C’était comme si la lumière s’était faite, ça avait tellement de sens! Que souhaite la nature? Si j’arrive à l’imiter, je prendrai moins de risques et j'aurai une meilleure résilience face aux surprises que nous réserve dame Nature. »
La Soil Health Academy est l’un des partenaires terrain de General Mills. Le géant de l’agroalimentaire s’est fixé un objectif : voir l’agriculture régénératrice s’implanter sur plus de 400 000 hectares dans le monde d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif, la compagnie a mis sur pied des projets pilotes dans trois régions jugées prioritaires pour son approvisionnement. La Saskatchewan, province championne de la production de blé au Canada, est au cœur de l’une de ces régions.
Dans le cadre de ses projets pilotes, General Mills n’achètera pas directement la récolte des fermes sélectionnées, les fermiers ne seront pas rémunérés, mais ils seront accompagnés par un mentor. Fermier depuis 45 ans près de Redvers, en Saskatchewan, Blain Hjertaas est consultant pour Understanding Ag, l’autre partenaire terrain de General Mills. Il aide les agriculteurs à faire la transition vers des approches plus respectueuses de la nature.
Debout au milieu d’un champ de pois et d’orge verdoyant malgré la sécheresse, il attire notre attention sur le bourdonnement des insectes, le chant des oiseaux. Cette biodiversité est nécessaire au succès de la vie sur terre. Ce n’est pas le genre de choses auxquelles on est habitué de penser en agriculture, parce qu’on s’intéresse surtout aux cultures. Mais en agriculture régénératrice, il faut penser à tout l’écosystème, soutient-il, pas seulement à ce qu’on fait pousser. Tout est lié.
Dans les fermes comme celle de Riani Lourens, un protocole de recherche a été mis en place. Pendant trois ans, certains paramètres seront mesurés, puis comparés à ceux de fermes conventionnelles témoins. Des micros et des dispositifs d’enregistrement permettent de répertorier la présence des oiseaux, des entomologistes colligent régulièrement la densité et la diversité des insectes… La capacité d’infiltration de l’eau est aussi analysée.
Mais pourquoi des géants agroalimentaires se donnent-ils soudain tout ce mal? Alain Olivier, professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, n’est pas étonné de voir des multinationales s’intéresser à la santé des sols : Les artisans de la grande entreprise sont conscients de certains problèmes causés par l'agriculture industrielle. Ils se rendent compte que nos sols se dégradent et que, à plus ou moins long terme, ça pose problème pour leur propre profit.