J’ai mangé, j’ai vomi, et je me suis détestée pendant plus d’une décennie
TVA Nouvelles
Dans le cadre de la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles alimentaires, on m’a demandé d’écrire sur le sujet. En discutant avec mon mari de ce que j’ai vécu plus jeune, un flash m’est venu. J’ai compris, par un beau soir de janvier, à 34 ans, comment avait commencé ma descente aux enfers.
La première fois que je suis allée voir le médecin afin de prendre la pilule contraceptive, sa réaction par rapport à mon poids a été de me dire : « OUF ! Fais attention ! » Elle m’a expliqué que j’étais encore correcte, selon mon indice de masse corporelle, mais qu’il ne fallait pas que ce dernier augmente. J’étais adolescente et je voulais seulement régulariser mes règles...
Je ne connaissais nullement l’existence de l’IMC. Je suis donc entrée dans ce bureau et j’y ai laissé une partie de ma naïveté. La jeune femme qui en est sortie venait de comprendre que les chiffres sur la balance pouvaient être lourds à porter.
En un seul mot, la graine des troubles alimentaires venait d’être semée. Les larmes que j’allais verser dans les mois suivants en me regardant dans le miroir allaient servir à faire éclore cette mauvaise herbe si dure à anéantir – la boulimie.
L’impact de cette rencontre fut de dire des phrases telles que « Je suis grosse, je suis laide, je suis dégueulasse, les autres filles sont mieux que moi, je ne peux pas manger ça, si je me fais vomir, je vais maigrir, etc. »
Je ne suis pas là pour blâmer le médecin qui a fait son boulot. Certains diront que j’étais sûrement déjà fragile, peut-être. Ce que je blâme, c’est le OUF, un si petit mot qui a grandement résonné en moi, un petit mot de trois lettres qui a éclaté en moi et qui a influencé mon discours intérieur.
Ce que je peux blâmer, toutefois, c’est l’approche, la façon de dire à une jeune femme de 15 ans de faire attention à elle, à son poids, à son corps. J’aimerais dire que ça fait 20 ans et qu’on ne parlait pas des troubles alimentaires, qu’on n’y était pas sensibilisé. C’est vrai sur plusieurs points, fort heureusement. En même temps, quand ma filleule de 11 ans pleure parce qu’elle se trouve grosse, car c’est ce que ses amies lui ont dit à l’école, cela confirme qu’on a encore du chemin à faire.
LES MOTS que nous employons sont d’une puissance incroyable. Un mot peut élever un être humain tout comme il peut l’anéantir. Pas besoin d’être un long mot, il suffit de trois lettres. Voilà pourquoi il faut faire attention aux mots dits, aux mots écrits. J’ai mangé, j’ai vomi, et je me suis détestée pendant plus d’une décennie. C’est long 10 ans, très long...